dimanche 20 février 2011

Un blog qui se bine? Ca s'arrose!

En direct du marché de Villafranca (MS)

Saisissons l’occasion, lors de notre promenade entre les caisses de broccoli sauvages et de chicorées blondes, d’examiner les préjugés ou réflexes franchement franco-français qui peuvent nous fourvoyer dans l’abord de la cuisine italienne. Il importe de bien vite corriger le tir sous peine de rater ce train précieux.

Ainsi, mea culpa, mes recherches insensées pour trouver des «fines herbes» à l’aube de mon premier marché toscan, entrepris comme s’il s’agissait d’un banal bazar provençal. Pourquoi y vendrait-on ce que tout le monde ici a dans son jardin ou sur son balcon? Je remercierai encore souvent cette épicière de Iano (FI) qui m’a un jour prise en pitié: après avoir fermé son tiroir-caisse et y avoir extrait une paire de ciseaux, elle m’a emmené dans son «orto». Il n’y avait qu’à se baisser: romarin, persil, basilic... Que n’a t-elle eu le tonus de m’entraîner découvrir tant d’autres trésors dans la nature sauvage comme tout «contadino», comme tout toscan.
Les herbes sont l’âme même de la cuisine péninsulaire. Ici, point d’épices, au large le tapage. Un parfum de champs, de jardin frais, discret, léger, pudique, petit majordome infatigable au service des sauces, viandes ou poissons. Les indispensables herbes: il faudra beaucoup de patience pour comprendre leurs mécanismes culinaires. C'est qu'on ne met pas n’importe quoi avec n’importe quoi! Une sauge ou une menthe mal placée peut vous attirer les regards les plus empreints de pitié/horreur/dégoût/colère de la part des autochtones. Et si cela peut vous paraître absurde, il en sera de même de nos hôtes à la seule idée de notre automatique thym/laurier ou imbécile bouquet garni.

Les tomates mon amour
Nous devisions parmi les plants de courgette et autre mélongine un soir de juin, évoquant nos infectes tomates qui poussent sur de l’ouate, dures comme des boules de billard, qui n’ont fait qu’entrevoir le pâle soleil de Flandres (ou même de Bretagne) et qui goûtent l’eau du robinet. Grisés que nous étions dans nos véhémences par les saveurs et parfums inoubliables des pomodorini dont nous nous gavions sur ce sol argileux proche de San Gimignano.
Arrive Rosalba, campanienne de naissance, qui nous englue tout de go en plein quiproquo:
«-Ah! Vous aussi trouvez ces tomates si fades?
-??!?...
-Elles n’ont aucun goût ici, vous devriez venir à Naples!»
On s’est dit in petto qu’il ne manquait plus qu’un Sicilien du genre vantard ne débarque -suivi d’un Lybien, tiens- dans la discussion.
La course du soleil et la pousse de la pomme d’amour ont une intense intimité en commun. La couleur et sa chaleur, la douceur et son bonheur, ont bien fait de la tomate le symbole universel de la gastronomie italienne mais s’il est devenu un lieu commun de dire que tant de plats fameux savent se passer d’elle. A elle seule, de par le monde, elle fait basculer les coeurs et les estomacs. C’est pourquoi la pizza sera toujours préférée à toutes les formes de galettes méditerranéennes (pide turque, coca catalana, pissaladière...), c’est pourquoi les enfants du monde entier adorent les spaghetti qu’ils soient de fast ou slow-food.

Variétés méconnues qui nous sautent au palais...

En direct de la Lunigiana, donc. Ici même, où des plats aussi rustiques portent le nom de Soupe à l’eau, Tranchette ou Rebouillie.
Ici même où se côtoient en parfaite et pittoresque harmonie la Lamborghini dernier top modèle du Salon de Turin et la colonne lézardée romaine. Harmonie quotidienne de l’High-Tec et du vestige.
Harmonie comme l’est la nature et le temps qui fait les saisons. Le temps, la plus rare et la plus indispensable, la plus délicate et la plus galvaudée des denrées aujourd’hui. Sans lui pas de bonne chère. Sans temps à donner, pas de joie en bouche. Le temps qu’on doit laisser aux légumes de pousser naturellement, le temps indispensable aux vrais soupeurs des étoiles que nous sommes.
Le temps infini d’apprivoiser les légumes et leurs herbes compères, trésors indispensables du cuisinier.
Les haricots en fiasque
Le temps qu’il aura fallu pour que la recette antique des haricots en fiasque nous parvienne, les longues heures (plus de quatre parfois) de cuisson, le temps surtout pour maîtriser cette recette...
Méfions-nous de nos temps où tout doit aller vite. Rien ne va vite si on veut réussir son repas. Toute recette annoncée comme "rapide" dans nos magazines ne le sont JAMAIS. Il suffit de voir le temps passé à trouver les bons ingrédients, le rangement, la vaisselle...  la face cachée de la fête culinaire. Notre époque d’images sacrées nous fourvoie aussi et surtout pour les recettes présentées dans nos médias divinisés: vous n’aurez JAMAIS le même résultat que sur la photo.
Vous savez, avec ce bosquet-là, chez nous, vous seriez vite millionnaire. Quand on vend 1,95 euros trois branches de basilic dans nos grandes surfaces... faites le compte.
STOP!
Ouvrir un cube et le jeter dans l’eau frémissante (7 sec.) ou rincer une gousse, un oignon, un brin de persil et céleri, de gratter une carotte (54 sec.) ne sont pas le même geste et ont encore moins les mêmes conséquences.
La prise de temps, pour le simples intentions culinaires comme pour les recette-marathons, reste un élément indispensable d’un art de manger, de vivre, de jouir.
Et si on réapprenais la patience de (s’) aimer, de (se) choyer, de (se) chérir, de (se) régaler? Et si on réapprenait à manger pour le plaisir simple des sens? Au diable les panoplies d’additifs qui nous font les gogos des multinationales agro-alimentaires. Au loin les conseils idiots ressassés (genre les 6 fruits et légumes quotidiens)!
Mais ça, on en reparle au sujet prochain.

Buon  appetito!