vendredi 13 décembre 2013

Réveillon à Ostende avec la famille Van Zwiekont

C'est une tradition qui remonte sans doute à la nuit des temps, peut être même aux années soixante: les Van Zwiekont passent toutes leurs fins d’année à la côte et en famille.
Josse, à peine descendu du train, enivré sans doute par la salinité de l'air, se découvre des dispositions pour les contacts humains. Il aborde la station balnéaire façon Front Populaire: après avoir remonté le bas de ses pantalons, il déambule en apostrophant tout le monde avec un sourire bienheureux et des plaisanteries grassouillettes, le tout avec un naturel criant de vérité, ayant toujours un commentaire sur tout mais surtout sur le même ton rigolard. Priscillia et Léa (née Hoekstra) en ont fait leur parti en maintenant avec lui une distance longue comme une laisse, celle que laisserait une trutte entre elle et son Schipperke.
Mais il y a une chose sérieuse pour laquelle Josse a traîné de force sa tribu jusqu'au confin du continent: le repas de la Saint-Sylvestre. Attention! Plus de 20 ans d'expérience comme chef de partie chez Caellens lui permettent de se mesurer au moindre minus/master chef du petit écran géant. Et cette année ça commence en fanfare avec, en entrée, s'il vous plaît:

“Petite zwanze de grisettes sur sa coechke de Rodenbach”:

Entamer une lente réduction d'échalottes au beurre avec un verre de Rodenbach, une feuille de laurier, un clou de girofle, trois ou quatre baies de genévrier.
Passer au chinois, sel, poivre, sucre de canne selon le goût, réduire encore pour arriver à un début de caramélisation. Avec un gros morceau de beurre des Polders, vanner lentement.

Etaler sur des assiettes bien chaudes mais non brûlantes, y déposer une petite poignée de crevettes grises fraîchement décortiquées à température ambiante ("en regardant Julien Lepers" dixit Léa), quelques feuilles de cresson et une pincée de persil haché. A accompagner d'une Rodenbach bien sûr et d'un vrai bon morceau de pain, ce qui sera peut être le plus difficile à trouver.

Préférant de loin passer cette soirée dans sa cuisine plutôt que devant les cascades de bêtisiers, Josse, bravant les "T'as pas besoin d'aide?" peu convaincus de sa moitié ou les "Waaaaah P'pa! Justin Bibber à la télé!" surexcités de son rejeton, notre touriste du goût se lance dès lors dans la réalisation de:

L'omelette pour le Roi, pour la Reine et pour Toi:

Une heure de calme dans la cuisine est indispensable à la conduite de ce trésor culinaire.

Par personne:

Ouvrir trois huîtres du Spuikom, filtrer et réserver le jus.
Mettre à frémir (20 minutes minimum) un bon demi verre de Saint-Bernardus 8° avec des queues de persil (ou des racines), le jus des huîtres, une feuille de laurier et une pincée de sucre roux.
Râper grossièrement du panais pour obtenir 3 cuillers à soupe. Faire fondre dans du beurre, quelques gouttes de citron, saler légèrement, poivrer.
Monter en neige un blanc d'oeuf de ferme, lentement, à la main, avec une pincée de sel.

Battre lentement et longtemps 1 oeuf + un jaune (à température ambiante) à la fourchette, saler légèrement.
Incorporer gentiment le blanc en neige aux oeufs battus.

Cuire sur une poêle bien chaude et bien beurrée, ça doit faire Tchhhh en versant. Diminuer le feu, surveiller d'un oeil, de l'autre mettre à pocher les huîtres après avoir enlever le persil et le laurier de la bière frémissante. Si vous avez un thermomètre, 80° maximum, compter trois minutes.
Placer les huîtres au centre de l'omelette (encore baveuse, attention!) dans le sens du diamètre et répartir le panais, poivrer.
Replier l'omelette en deux, couper le feu, placer sur un plat chaud en porcelaine, essuyer délicatement le dessus de l'omelette avec un Scottex en tapotant et lustrer avec un morceau de beurre frais promené à la fourchette. Recommencer pour l'autre côté. Une pincée de cerfeuil haché et hop! à table en accompagnant de la bière du même tonneau, ou d'un autre, après tout, c'est la fête pour une fois. Pour accompagner en couleur ce festin, Josse s'est procuré à prix d'or des pommes de terre rouge des Flandres, simplement cuites à la vapeur. Effet garanti! 


Priscilla a mis à profit ses connaissances acquises en 3ième technique vente/étalage à l'Institut Toots de la rue du Bac pour décorer le passe-plats avec des babeluttes, façon crèche. Comme un souverain lointain le ferait pour un petit Jésus, avec passion et dévotion, Josse entame maintenant la réalisation du dessert:

“L'émiettée de Baulus dans sa nage de Mer Noire”:


Faire sécher des bons baulus (belges si possible) plusieurs jours.
La soupe au chocolat (à faire le matin):

175 grammes de chocolat bien noir (Onze Joske a longtemps hésité entre le Noir Intense de Galler et le Dark de Neuhaus).
10 centilitres de crème fraîche UHT
15 centilitres de lait de ferme bouilli et refroidi.
4 cuiller à soupe de sucre roux.

Fondre lentement le chocolat au bain marie en tournant souvent.
Ajouter la crème, puis le lait, obtenir un mélange bien lisse.
Ajouter le sucre par petites touches et goûter.
Laisser tiédir à température ambiante en tournant de temps à autre.
Puis mettre au frigo.


Servir dans des assiettes profondes (à soupe) bien froides avec les baulus que vous aurez passé à la salamandre et émietté au dessus des assiettes. Piment, cannelle, zestes d'agrume selon le goût.
 


"-Ouf, le plus gros est passé" se dit Léa.
"-Quoi? Tu m'as appelé?" rétorque le père de famille.

Après ce festin, la table du salon a bien le droit de recevoir quelques pieds échauffés, les murs ont bien l'autorisation d'arrêter d'ouïr quelques rots de satisfaction. Les mouettes se sont tues, le sable est allé se coucher sous les paupières des enfants sages.

"Minuit! Een kusje! " s'écrie Priscillia.
"Ton père ronfle déjà" lui dit Léa en l'enlaçant tendrement.

Si elles savaient! Notre maître coq est en train de concocter pour les derniers jours de congé: Turbotin Mercator? Hutsepot de Merelbeke? Ris de veau aux jets de houblon? Mopjes à l’Elixir d’Anvers...?