jeudi 5 septembre 2019

Bye bye blog


Ceci sera probablement le dernier post de mon blog de notes et croquis des collines pisanes.
Une question me hante depuis quelques temps: et si ces dizaines d'années passées en observateur du goût, toutes ces richesses et cette sagesse amassées prenaient subitement l'allure d'une aventure burlesque digne des films un peu jaunis d'Aldo Fabrizi ou d'Alberto Sordi ? Ce paradis précieux des traditions et du terroir, ces trésors inestimables de saveurs et de savoir-faire dont j'ai nourris (je ris) ces colonnes depuis si longtemps m'apparaissaient soudainement comme un égoïsme, une fatuité affichée, un petit orgueil provincial ?
Pomarance 1999

Les dérives et les errances en matière de nouvelles habitudes alimentaires, les perditions et les désespoirs des régimes surgis de partout, les modes toujours plus absurdes, les inquiétudes et les incertitudes au registre de la santé publique, bref les enjeux d'une alimentation qu'il faudra bien voir globale pour ne pas dire mondiale, relèguent bien vite mes petites recommandations au rang de comptine pour enfant gâté, au cran de romance pour ringard illuminé.


Extrait de mon site "Guide des recettes de spaghetti à l'intention des campeurs, juilletistes en baraque et autre casse-croûteurs de terrains vagues." 2004

Aux générations qui me suivent, comment laisser des signaux, faire part des émotions qui m'ont conduites à mettre tellement en valeur le régime toscan, déposer sur leur nappe un menu d'espoir, d'apaisement et de paix ? J'ai parfois cette impression d'avoir visité une réserve de vieux indiens. Tous ces plats et produits dont j'ai fait le portrait enchanteur, ces denrées dont j'ai décrit l'extase qu'elles provoquent, les gens qui bataillent à la sauvegarde d'une qualité, ces tablées de convives partageant un égal bonheur me font soudain le même effet qu'un alignement de peintures du quatrocento, une galerie de chefs d'oeuvre figés à jamais, ces moments si exaltants renvoyant tout à de vulgaires madeleines de Proust. Comment dorénavant, trouver un salut dans l'ordonnance des repas, oscillant entre l'obligation de se nourrir et le plaisir de manger ?
Extraits de Holidays at the Opera - Italia 2001

Le végétarisme (enfin débarrassé des ses contingences religieuses), les manipulations génétiques (qui existent -souvent à notre insu- depuis un demi-siècle), les méga productions, la permaculture, les appellations (pourquoi, par exemple, saturer ces élevages parmesans et infliger des souffrances animales sur une micro parcelle pour un fromage consommé dans le monde entier et ne pas autoriser le parmesan du Wisconsin- je vais encore me faire des amis-), la crainte de grands bouleversements des apprentis sorciers des méga groupes d'usiniers de la bâfre, le brouillage des labels et médailles trop nombreux, la poussière des confréries, la pêche "responsable", l'agriculture "raisonnable", l'élevage "respectueux"... tout cela aura t-il le même sens dans dix ou vingt ans, quoi de tout cela ira encore à l'encontre d'une alimentation saine partout et pour tous?

Extrait de Carnet de Route Toscana/ Bologna 2000

Je suis sur cette piazetta où j'effeuille quelques tranches d'aubergines séchées et je vois se croiser de jeunes bouffis en bermuda et des vieux burinés en bleu de travail, je vois se longer à se toucher la junk food et les légumes du jardin. J'ai peur pour tous et toutes. Un peu déçu aussi de ne plus être là pour voir la tournure des événements à venir dont je reste malgré tout un peu, beaucoup, énormément, pas du tout... passionnément confiant.

Grazzie per l'amicizia.


Page d'accueil de mon premier site 2006