jeudi 7 juin 2018

Un bon blog du culte

Appétits en perte de repères, estomacs en déroute, les temps troubles qu'on nous impose insinuent l'incertitude jusqu'au plus profond de notre assiette. En plein désarroi, le Bien Manger assiste impuissant au défilé des dérives les plus absurdes. Fleurissent alors autant de régimes ubuesques, d'hypnoses collectives et de règles pseudo-thérapeutiques qui n'ont en commun que la sanction, la punition, la terreur ou les spectres de toute sorte... en résumé tout ce qui va à l'encontre du plaisir! Loin des ces nouvelles crédulités, un petit recadrage en Toscane peut s'avérer salvateur (et pas "salvineur"). Loin des gogos et jobards, le plaisir d'une table simple et généreuse, les principes d'une cuisine humble et possible nous remettent de bel aplomb.
Le régime toscan est le plus épanoui des régimes méditerranéens: il peut convenir aux plus ardents défenseurs de l'option végétarienne ou peut satisfaire les amateurs d'alimentation carnée soucieux d'éthique et de tous ceux qui se situent entre ces deux extrêmes. Moins rustique ou restreint que le régime Crétois, il sublime l'humilité des plats paysans comme la Soupe à l'Eau, le rebouillie, le Sel en Bouche ou la Panade à la Tomate et peut aussi offrir le luxe des plats bourgeois comme la viande Chiannina ou les laitages des alpages du Mugelo.

Dans la lutte contre les saveurs toujours plus envahissantes et fortes et des exhausteurs de goût sous les formes les plus vicieuses, j'insiste sur cet aspect méconnu de cette Cuisine Pauvre: l'absence quasi totale d'épices. Les premières saveurs se trouvent d'abord dans la valeur intrinsèque des aliments de base (la haute qualité est donc implicite et exclut de facto tout label à vocation rassurante) sublimée par un usage très ordonné (et souvent déroutant à première vue) des herbes fraîches en été, sèches en hiver. Ainsi pas de thym ET laurier, pas de sel ET poivre, pas de bouquet garni, pas de fonds, pas de mélanges Ducros, de poudres quatre épices, pas d'égarements exotiques et autres de nos automatismes.

S'il autorise la consommation de viande ou de poisson frais (toujours cuisinés de façon simple pour être au plus près des valeurs gustatives) ou l'usage de salaisons dont les traditions font parfois l'objet de véritables cultes et prétextes à mangeailles de rue, il est aussi un indéniable acteur social. De Sienne à Grosseto, De Carrare à Prato, prêtez l'oreille aux conversations de rue, sujet éternel, bien avant le la politique, le foot ou les performances mécaniques: la nourriture, ses tenants et ses aboutissements.

Adeptes de cet esprit sain, observateurs de nos rapports à la nourriture, même dans nos régions grises, appliquer les grands principes du repas toscan devient possible. Dès lors, sans s'en rendre compte, on se retrouve à mitonner ou rôtir comme nos grands mères, en collant au plus près de la nature, en ne mégotant pas sur le plus cher de ingrédients: le temps. Et en pensant toujours au plaisir d'offrir (à soi-même aussi et surtout).