mardi 25 juin 2013

Ohé les surfers au ventre creux, voici un blog très nouvelle vague!

En direct d'un terrain vaguement situé aux alentours de Vada (LI)

Il y a de ces endroits, des ces moments où on se demande bien pourquoi et comment on s'y est trouvé. A vrai dire, on se ment bêtement en prétendant avoir perdu le fil: c'est tellement peu essentiel et il est tellement plus gai de se laisser conduire par le plus beau des hasards.

Un vague baraquement, près d'une série de vagues hangars où s'entassent de vagues bateaux le long d'un chennal, attendant comme tout le monde cet été qui n'en finit pas de se faire attendre. Ici aussi, l'hiver a été rude, ici aussi la nature a peine a reprendre pied. N'en témoignent les nombreuses flaques qu'il faut enjamber avant de trouver la lumière: un fanal pâle mais performant, des lampions fatigués mais vigilants. Indication: " Sta Serra Ballo Liscio". Les agapes vont sans dire, sans écrire. Un énorme grill et tout un monde qui s'agite comme dans une termitière enfumée. Chefs et sous-chefs, mitrons et goûteurs hydroglissent sur le gravier. Calamars, seiches, mulets, daurades, bonites et surtout des filets de sériole, dont un finit bien vite dans mon assiette ébréchée.
 
Ballo Liscio: encore une appelation déposée typiquement italienne. Polkas, mazurkas, scottichs... Excentriques s'abstenir!

Ici, comme partout en Italie, on mange du poisson (ou de la viande) pour le goût qu'a ce poisson (ou cette viande). Un peu (souvent trop) de sel, l'inévitable huile. Point. Un farfelu réclamera du citron, un égaré du ketchup. Sans doute est-ce la première et dernière fois que j'aurai l'occasion de profiter de ce délice. Une cacciota passe de main en main, les fiasques tintent, les rires fusent, l'accordéon s'échauffe, le speaker toussote.
Rite savamment minuté, répété tant de fois, implacable. Les jeunes dejays qui prendront le relais dans deux heures patientent avachis sur leur pétrolette. L'accueil toscan, juste ce qu'il faut, sans trop en faire, sans mettre mal à l'aise, sans fausses promesses.
Danseurs échauffés, joueurs de bocce (ancêtre de la pétanque pratiqué déjà, paraît-il, par l'arrière grand père du Leonardo du Val d'Arno) abattus par l'état impraticable du terrain, mangeurs jamais rassasiés, tous se laissent recouvrir par la nuit orange des bords de mer. Quelques cris perdus dans le brouillard du barbecue et les premiers Tom Tom des raggazini qui ont placés leurs platines aussi vite qu'on a englouti notre grappa.
Le bonheur livournais à cru, brut sauvage, sorti de son coffrage. Cet imprenable bonheur d'être là, avec ses voisins d'un soir. Cette immense sensation d'assouvissement, le ventre plein, les idées claires, le coeur battant, prêts à recommencer demain et demain, et demain et demain...
La sériole (Ricciola!) est un grand poisson à la chair blanche à la saveur et à la fermeté proche de celle du thon. Rare mais pas menacé (il est pêché à la ligne), pas encore trop intoxiqué par le mercure, certains restaurants le proposent à leur carte le long de la côte.
Sériole
L'obsession de la protection de la nature et par voie de conséquence des saveurs et des joies qu'elle prolonge dans nos assiettes (soyons toscans, restons italiens) poussent la sagesse jusqu'au militantisme. Certains Robin des Mers, dans leur respect d'une pêche raisonnée et durable, dans le contrôle des quotas et des calibres n'hésitent pas à placer des pièges à chalut (gros blocs de bêton qui permettent la prolifération d'espèces et l'alevinage qui vous crèvent un filet comme un rien) dans les zones où des apprentis sorciers de la pêche industrielle ne devraient pas s'y trouver, préférant dévaster le fond des mers quitte à payer l'amende ridicule qu'ils risquent (peu) de se voir infliger.