vendredi 16 mars 2012

Un blog parfois dans l’erreur, jamais dans le doute!

En direct du marché communal d’Orbetello (GR)

Qu’elle n’eut été lui! Le métal, le feu, les lames ou les piques auraient été autant de menaces. Mais non. Retranchée derrière ses barreaux inoxydables, s’il est vrai qu’il lui arrive qu’elle tranche, émascule, saigne ou éviscère un petit peu, c’est pour une cause juste, une vertueuse entreprise: l’auguste condition du ventre.

Elle aurait été lui, on eut cru un bourreau à l’oeuvre sur son billot. Mais non, à l’office égayée par sa seule présence, elle grille, plume, ébouillante sans penser à mal, derrière un petit sourire béat avec la sainte et féminine satisfaction de la tâche à accomplir.

Elle aurait été lui, elle serait en guerre, au combat. Mais non, tout se commence et se poursuit par une reddition, une abdication, un asservissement à la nature, ses saisons et les denrées qu’elles procurent. Tout se poursuit dans un élan généreux comme la sève au printemps, fertile comme la terre en été.
Hormis quelques gargotes prétentieuses où de vagues chefs chassent aux étoiles et aux médailles, partout en Toscane les cuisines, de cantine ou de restaurant, sont affaire de femme.
On a souvent comparé les cuisines méditerranéennes mais on a rarement souligné, en Italie plus qu’autre part, l’essentielle vocation féminine. Ainsi, si les tapas, kémias ou autres mezze sont préparés par des mains féminines que les hommes mangent entre eux, les antipasti ont cette vertu de trôner sur la table familiale, de tourner autour d’elle, elle qui ligue comme elle lie. Seules garantes du goût et des manières, incontestées -comme seuls le sont les élus-, maîtresses des manoeuvres, c’est par la table qu’elle cimente, bâti, rapièce ou réconcilie son troupeau tous les jours un peu dissipé. Elles n’auront laissé qu’une seule fois ce rôle à un homme. Et encore, drôle d’homme: sa mère Marie ne l’aura vu qu’une seule fois présider,  au centre de la tablée, comme un qui doit mourir demain.
Frugale dans ses gestes mais généreuse et bienveillante dans ses portions, elle régale de petites bandes vociférantes et assurées, en treillis ou en survêt’, et quand il faut bien servir quelque brute qui découche du buffet matriarcal, elle force un peu sur le pardon, rajoute de l’indulgence, recouvre d’un peu d’absolution.
Quand vient le moment d’éteindre les feux, de tomber la chemise, de baisser la cheminée, tout souvenir de ripaille évaporé, tout attirail rangé pour la prochaine bataille, toutes munitions comptabilisées, tout arsenal endormi, elle se laisse alors parfois aller aux songes, se refait des tranches de vie, des aiguillettes de passé, barde un restant de souvenir, accomode un fond de pensée, comme ça, pour se reposer de sa position.
C’est qu’elle en a vu passer des modes et des tendances sans sourciller. Hier soufflés, quenelles ou croustades, aujourd’hui tempuras, vérinnes ou espumas, jadis pâte riche à présent crême allégée. C’est qu’elle rirait de se voir dirigée par GPS ou par PC dans ses gestes culinaires quotidiens, assurée que l’intelligence numérique de notre époque high tech jusqu’à l’hystérie n’est destinée qu’à ceux qui en manquent.
Orbetello
C’est qu’on l’a tellement accomodée, elle et ses secrets, c’est qu’on a tellement pelé à vif son image: un jour bonne et rassurante mamy des yaourts au goût d’antan, le lendemain intrigante amazone mangeuse d’homme au ventre plat et cependant bourré de Lactobacillus Casei Immunitas. Crêmeuse à l’aube, ascète au crépuscule, demain 20 heures mère de famille jetant quelques ingrédients et condiments dans un sachet plastique qu’elle aura extirpé d’un coffret de frigolite et précipité dans le micro ondes sous les yeux ronds de bille de ses enfants, hop! que c’est beau l’amour maternel, le Tout-Tout-de-Suite, tant d’amour, tant d’attentions...

Qu’elle n’eût été lui: ses marmots se seraient sans doute restaurés de cachets ou de tubes peut être même de surgelés!

A suivre...
A la façon d’un peloton de petites reines mais dans un fauteuil puisque nous sommes tous champion, nous ferons un tour de Toscane délicieuse pour notre prochain sujet. Réservez dès maintenat votre musette: gare à la fringale!